La liberté et les pratiques de l’astrologie
Christian Duchaussoy
La destinée et la vocation.
Depuis toujours, le destin est au centre de la préoccupation de l’être humain. Encore faut-il s’entendre sur la signification de ce terme. Il y a plusieurs significations du destin qui ont dérivées les unes des autres au fil des civilisations.
Dans le sens courant, hérité des Grecs, le destin est un concept lié à la mort et à l’incompréhension de l’individu face à sa trajectoire de vie. Celle-ci lui apparaît modelée d’une façon inéluctable et particulière pour des propos qui lui échappent.
Le destin est alors hors du commun, il distingue la personne qui y est soumise malgré elle et génère cette douloureuse prise de conscience : pourquoi moi ?
D’emblée, la singularité de l’individu y est posée. Mais elle l’est en constituant l’individu comme objet du monde inféodé à une puissance supérieure. Le destin est ainsi aveugle, insensé, douloureux et par là, inacceptable.. Malgré cela, l’attrait de la distinction poussera l’humanité à chercher un palliatif : la prédiction qui lui permet de connaître à l’avance la fatalité. La prédiction et le destin sont étroitement liés.
À l’opposé du destin se situe la vocation (être appelé à…) qui est l’accomplissement lucide d’une finalité interne innée. La vocation est associée à l’idée d’une prédestination, d’une désignation singulière opérée par la divinité qui donne sens à la vie de l’individu. A l’inverse du destin, la vocation n’est pas automatique, inéluctable. Elle demande une participation consciente du sujet. En effet, elle est issue d’une opération de clairvoyance sur une prédestination jusque là ignorée, d’une reconnaissance et d’une acceptation de celle-ci.
Cet appel préfigure, comme on va le voir, la notion de liberté à son plus haut niveau.
La liberté.
La liberté apparaît alors non pas comme un fait parfaitement défini de manière objective, mais comme une manière de se situer dans le monde. En effet, on peut concevoir la liberté comme étant cet espace de conscience qui s’étend du destin à la pré-destinée, du statut d’objet d’une puissance aveugle à un statut de sujet illuminé par le Soi. Regardons ces deux extrémités.
Soit l’individu focalise sa conscience sur la matière (avoir, posséder…), et il est soumis à la loi des forces aveugles (entropie) qui s’exercent sur lui. Dans ce cas, la liberté passe par une lutte contre le monde pour le maîtriser et le transformer ; elle se définit comme une libération des contraintes matérielles. Elle est la conséquence d’une conquête victorieuse d’outils permettant de manipuler des objets dans le but d’augmenter le confort prévisible et de diminuer le hasardeux. La liberté se mesure alors par la quantité d’outils que l’on possède (dont les outils de prédiction).
Soit l’individu focalise sa conscience sur ses propres processus de conscience, inaugurant ainsi la conscience de la conscience, et il entre dans une acceptation totale de cette même entropie du monde, car elle prend sens de support indispensable à la conscience. Dans ce cas, la liberté est perçue comme un abandon , un détachement d’objectifs à atteindre au profit d’une subjectivité pleine de sève qui, ayant accepté et intégré les contraintes de la matière, peut s’investir dans une création vivante.
Liberté et Prédiction.
En surface, il peut paraître évident que le concept de liberté (associé à celui de hasard) est plus admis à notre époque que celui du destin. C’est d’ailleurs un paradigme fondamental de notre société occidentale. Il y a cependant, dans les faits de la vie quotidienne de tout un chacun, une contradiction flagrante avec cet idéal : l’attrait de la lecture du futur fait une furieuse compétition avec celle de la liberté. Il suffit de voir fleurir les revues de presse qui font paraître un horoscope (incontournable argument de vente) pour battre en brèche l’affirmation de la primauté de la liberté sur le destin dans les croyances de notre époque.
Cette compétition se reflète dans les deux attitudes contrastées du public vis-à-vis de l’astrologie : on » croit » à l’astrologie ou non, on la rejette ou on recherche (de manière plus ou moins voilée) une prédiction.
Pour les tenants de la liberté et du hasard, l’astrologie est une escroquerie à la crédulité ou au mieux un attardement mental. Pour les tenants du destin, l’astrologie psychologique est un dévoiement intellectuel d’un mystère sacré qui se perpétue depuis des millénaires à travers la tradition. L’acharnement irrationnel qui s’attache à l’une ou l’autre de ces positions en dit long sur le fait qu’il s’agit de croyances profondes, d’origines religieuses, sur la mutuelle relation de l’être humain et du monde.
Les niveaux de liberté.
Pour bien comprendre le débat sur la liberté, il est nécessaire de distinguer des niveaux de réalisation de la liberté.
Le degré zéro de liberté est l’esclavage de l’individu à un système qui lui dicte ses actes. Sa motivation réside à l’extérieur de lui-même et ses actes sont déterminés par les conditions externes. Il réalise le désir d’un autre. C’est par exemple le statut de la femme dans les sociétés patriarcales balbutiantes. Mais ce degré zéro est aussi réalisé dans nos sociétés occidentales, hommes et femmes de manière indistincte cette fois, par la perfusion médiatique d’envies qui ne sont pas les leurs. Les individus se ressemblent et sont prédictibles, puisque leurs motivations ont été modelées à l’identique et que les conditions matérielles et humaines sont parfaitement balisées. C’est le degré maximum d’écart entre le conscient de la personne hantée d’envies qui ne sont pas les siennes et son inconscient.
Le premier niveau de liberté est la possibilité pour une personne de dégager une intention, c’est-à-dire d’imaginer que son désir propre est envisageable.
L’intention émerge du fait de poser son désir comme une fin et de prévoir un ordonnancement des actes nécessaires à sa réalisation : je fais ce que je veux, je réalise mon intention (La » préférence » selon Aristote : Livre III de » l’éthique à Nicomaque « ).
Le deuxième niveau de liberté est la désintrication du sujet et de son désir. Je suis libre si je deviens indépendant de mon désir et que je n’en suis plus esclave. Cette libération n’est pas un refoulement du désir mais une canalisation de celui-ci dans le cadre d’une subordination à une loi sociale qui, seule, permet de produire une oeuvre dont les autres êtres humains seront juges (Kant : » Critique de la raison pratique « , Hegel : » Encyclopédie des sciences Philosophiques « ).
Le troisième niveau de réalisation de la liberté est de nature ontologique : être libre, c’est être Soi en acte. C’est-à-dire obéir scrupuleusement à la Loi interne qui gouverne son fonctionnement spécifique dans le rapport à soi-même et aux autres. Cette Loi singulière est à la fois marque, signe et signature de son insertion particulière, liée à une époque et à un lieu, dans l’interdépendance universelle.
La philosophie et l’astrologie.
Réfléchir à la liberté dans la pratique de l’astrologie conduit à se poser la question sur la manière dont fonctionne l’astrologie. Jusqu’à présent, cette réflexion, d’ordre philosophique, en est restée à celle de Platon et d’Aristote, tant il est vrai que l’émergence de la pensée scientifique (qui privilégie l’objet par rapport au sujet) a relégué l’astrologie à un statut d’amusement public indigne de la philosophie.
Ce n’est que très récemment dans l’histoire, avec Kant et Hegel, que le concept de sujet transcendant a retrouvé le statut prééminent qu’il avait à l’époque de Platon, quoique d’une autre manière. La phénoménologie (Husserl, Merleau-Ponty…) a poursuivi ce cheminement en promouvant l’intersubjectivité et l’importance de l’être-au-monde.
La double naissance.
Sans vouloir philosopher, il est possible de jeter quelques idées concernant les fondements de l’astrologie. On ne peut pas comprendre cette discipline sans comprendre qu’une naissance est double : de manière simultanée et indissociable, je nais dans le monde comme le monde naît en moi. Je marque le monde de ma présence et le monde me marque de sa présence.
J‘imprime le monde en provoquant une mutation dans mon environnement : je constitue mes parents comme parents, mes grands-parents comme grands-parents, etc…générant ainsi un ensemble de comportements qui se rapportent à mon existence pour eux.
A son tour, le monde me marque par une inscription sous forme de représentations internes générées par le filtre des organes sensoriels, et qui sont la trace historique de ma présence au monde.
L’inscription du monde.
Ce concept de représentation interne du monde est central pour l’astrologie : c’est parce que j’incorpore le monde que l’astrologie peut fonctionner. Ce concept d’incorporation du monde a été développé indépendamment par la psychanalyse (lacanienne) et par Merleau-Ponty. Cette inscription corporelle, trace de ma présence au monde, est à la fois porteuse de lien et de séparation :
• de lien en ce sens qu’elle est la marque incontournable de mon appartenance à ce monde et à ses lois.
• de séparation dans le sens où cette représentation est totalement subjective, unique, singulière car représentative de ma manière d’être au monde, qui dépend elle même des conditions dans le temps et dans l’espace de ma naissance.
Par sa première face (le lien) cette inscription m’intègre de manière dite » horizontale » par les linguistes, dans un ensemble de relations syntaxiques (relations d’organisation mutuelle entre soi et le monde). Cette articulation me rend dépendant de règles qui préexistent à ma présence, comme je suis dépendant de la grammaire pour arriver à me faire comprendre des autres. L’inscription prend alors forme de signe qui va conditionner le sens de ma vie. Dans cette optique on rejoint la notion de destinée (signe de la destinée).
Par sa deuxième face (la séparation) cette inscription me différentie de manière » verticale » dans un ensemble de relations métaphoriques (relations multiformes ayant un même sens). Elle est alors parole-pour-moi du monde (Astro-Logos). Il m’appartient d’en découvrir le sens, toujours à dévoiler car incarné ici et maintenant. On rejoint ici la vocation (être appelé à…).
L’astrologue et ses croyances.
L‘astrologie est une représentation (astronomique) de cette inscription du monde en soi (donc une représentation de représentant). Elle est donc inéluctablement porteuse de ces deux faces. Selon la croyance de l’astrologue concernant la liberté, la pratique de l’astrologie soulignera soit le lien, en insistant sur le signe que représente le thème natal, soit la coupure, en insistant sur la métaphore que représente ce thème natal. Dans le premier cas l’astrologue fera valoir l’enchaînement des causes et des conséquences inscrits dans le thème qui enchaîne l’individu à sa naissance. Dans le deuxième cas il fera valoir l’importance de découvrir la multiplicité des sens inscrits dans le thème, pour se libérer d’une forme primitive de vécu et inaugurer un statut de sujet transcendantal. Et bien sûr, entre ces deux extrêmes, toutes les pratiques existent. Il n’empêche que, quelle que soit la pratique, l’astrologie est bel et bien porteuse de ces deux niveaux d’information : le destin et la liberté.
La coexistence de ces deux aspects de l’astrologie provient de la coexistence de deux formes d’inscriptions dans l’être humain. L’une n’existe pas sans l’autre. La querelle des écoles d’astrologie à propos de la liberté est alors sans fondements. Elle provient d’une méconnaissance du fonctionnement même de l’astrologie. Vouloir éliminer une des deux faces par idéologie, c’est amputer gravement cette antique discipline.
Nous avons tous des croyances, c’est l’état d’humanité qui veut cela. Que l’on choisisse sa pratique de l’astrologie en fonction de ses croyance, cela est inéluctable. C’est alors un choix, pas la vérité absolue qui s’insurge contre les hérétiques.
Il me semble qu’il est cependant nécessaire, pour intégrer l’Astrologie de manière crédible dans le courant de pensée de notre époque, de développer la deuxième face (métaphorique). Il y a du chemin à parcourir encore…